LA COUR DE LA CEDEAO DÉCLARE UNE VIOLATION DU DROIT À LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET DU DROIT À LA DÉFENSE EN VERTU DE L’ARTICLE 7 DE LA CADHP ET ORDONNE UNE INDEMNITÉ À DEUX REQUÉRANTS DANS L’AFFAIRE M. ISMAILA HAIDARA ET DEUX AUTRES CITOYENNES MALIENNES

La Cour de Justice de la CEDEAO a jugé, le 15 décembre 2023, que l’État du Mali avait violé les droits fondamentaux de M. Ismaila Haidara et une citoyenne malienne notamment   leur droit à la présomption d’innocence et leur droit à l’assistance d’un avocat. Cette violation s’est produite lorsque les individus se sont vu refuser la possibilité de choisir leur propre avocat au cours d’une procédure d’enquête menée à leur encontre sur diverses allégations pénales.

Dans la décision prononcée par le juge Sengu Mohamed Koroma, qui a rempli les fonctions de juge-rapporteur au sein du collège, la Cour a énoncé qu’elle a retenu sa compétence pour traiter de l’affaire et a jugé la requête recevable après avoir satisfait aux critères de recevabilité. La Cour a conclu que l’État du Mali avait violé les droits des requérants à la présomption d’innocence et au droit à l’assistance d’un avocat. En conséquence, elle a ordonné à l’État du Mali de verser des indemnités de dix millions (10 000 000 CFA) à chacun des premier et troisième requérants à titre de réparation.

La Cour a également ordonné à l’État du Mali de s’acquitter de manière systématique de ses obligations en vertu de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Dans la requête introductive d’instance, ECW/CCJ/APP/54/21, les requérants, M. Ismaila Haidara, Madina Deme Coulibaly et Mme Hawa Traoré, ont fait valoir des violations des droits de l’homme, soulignant l’absence d’avocat de la défense et d’accès aux preuves pendant la procédure d’enquête préliminaire. Ils ont fait valoir que le ministère public avait retardé d’un mois la présentation d’un acte d’accusation, faute de remédier aux violations.

Les requérants ont allégué que leur détention constituait une transgression des normes inhérentes à un procès équitable, étant donné qu’ils étaient privés des garanties préalablement édictées par la loi. Ils ont sollicité diverses mesures de redressement auprès de la Cour, incluant spécifiquement une réparation financière pour les préjudices subis et les frais encourus.

Le Défendeur, l’État du Mali, a contesté ces allégations, les jugeant fantaisistes. Il a affirmé que l’enquête était conforme aux lois en vigueur et impliquait des accusations liées à la contrefaçon, à l’abus d’actifs sociaux, au détournement d’actifs et à la faillite organisée. Le défendeur a rejeté toutes les allégations de violation, citant le Code de procédure pénale malien, qui habilite les enquêteurs à découvrir la vérité. Il a souligné l’intégrité de l’enquêteur et le respect de la présomption d’innocence. Par conséquent, le défendeur a soutenu que les demandes de compensation monétaire devraient être rejetées en raison du manque de preuves.

Dans l’arrêt, la Cour a déterminé qu’interroger les requérants au cours de l’enquête préliminaire sans leur accorder le droit à l’assistance d’un avocat, tel que garanti par l’article 7(1)(c) de la CADHP et l’article 14(3)(d) du PIDCP , constitue une violation de ces droits. En outre, la Cour a condamné toute action contraire à une enquête neutre décrite à l’article 7 de la CADHP et a conclu que le défendeur a manqué à ses obligations de faire respecter ces principes.

La Cour a rappelé que les requérants se considéraient comme des témoins, tandis que le défendeur les considérait comme des suspects, affirmant son pouvoir d’étiqueter les individus faisant l’objet d’une enquête. Elle a souligné que la présomption d’innocence exige que le défendeur ne préjuge pas de l’issue de l’enquête ou du procès. Se référant à sa jurisprudence, la Cour a souligné que le droit à la défense est une exigence fondamentale et, sur la base des éléments de preuve présentés, elle a jugé que le Défendeur avait violé le droit des requérants à la présomption d’innocence.

La Cour a reconnu qu’en l’espèce, les premier et troisième requérants ont subi des violations du droit à l’assistance d’un avocat, à une procédure équitable, neutre et contradictoire, ainsi qu’à la présomption d’innocence au cours de l’enquête préliminaire. Après avoir examiné les arguments, elle a conclu que le deuxième requérant n’était pas lié à la violation ; en revanche, les accusations portées contre elle sont apparues après l’achèvement de l’enquête préliminaire au cours de laquelle les violations ont eu lieu. En conséquence, la Cour a décidé que les premier et troisième requérants ont droit à une réparation pour la violation de leurs droits.

Les autres juges du panel étaient les juges Dupe Atoki (président) et Ricardo Claúdio Monteiro Gonçalves (membre).